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3 septembre 2005 6 03 /09 /septembre /2005 00:00

POURQUOI LA SCIENCE ET LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE NE SE DEVELOPPERONT PAS EN AFRIQUE.

Par Romain Pierre MIENAHATA

Chercheur

Directeur du centre pour l’avancement de la création scientifique en afrique (CASCA)

BP : 1838 Tél.(242) 536 77 73

E-mails :mienahata@hotmail.com,mienahata_rp@yahoo.fr

Site web perso : http://site.voila.fr /lafriquepositive

          Extrait de : MIENAHATA (R.P.), Comment devenir un savant, inédit, B/ville 1999

 

Comment la société impulse-t-elle la création scientifique chez ses membres ? Où pour une vie consacrée aux autres, à la conquête du savoir, quelle aide les créateurs scientifiques attendent-ils de la société ?

 

William James, dans son essai, " Les grands hommes et leur environnement " , écrivait : " la communauté stagne sans l'impulsion de l'individu, l'impulsion meurt sans la sympathie de la communauté " (1). Longtemps avant William James, Sénèque notait déjà que " Rien d'important et de durable ne peut être réalisé sans l'appui du populaire"(2).Soit qu'il existe une interaction entre la société (l'Etat, les sociétés savantes, le peuple) et le savant. Le savant honore la société par ses travaux ; et la société soutient le savant dans sa quête par des actions multiformes : aide financière, aide à la publication des travaux, création des chaires pour permettre au savant d'exposer ses découvertes et développer une branche scientifique nouvelle, etc. …

 

a)- L'aide financière : L'éternel problème auquel se heurte les créateurs scientifiques est : l’argent. Aussi l'aide privée que l'aide publique est nécessaire aux créateurs scientifiques.

Sir Almroth Wright, à travers l'article " le plus grand problème mondial " dans le liverpool Daily Post appelait les riches à consacrer leur fortune à la recherche (3). John Davidson Rockefeller, Andrew Carnegie, et beaucoup d'autres ont répondu à cet appel. John D. Rockefeller, après avoir fondé l'Université de Chicago en 1892, créa en 1913 la Rockefeller foundation pour soutenir la science ; A. Carnegie se consacra à 66 ans aux œuvres philanthropiques, dont le financement de la recherche, à travers la carnegie Institute.

 

L'école de médecine, le St Mary's Hospital, où Alexander Fleming découvrit la penicilline eut ses nouveaux locaux en 1933 grâce aux dons des riches  amis du doyen Charles Wilson : le banquier Lord Revelstoke et Lord Beaverbrook. De même quelques amis fortunés, croyant en son "nouvel évangile " aidaient, par leurs dons , Sir Almroth Wright fondateur de l'école à financer ses recherches et payer ses assistants (4) .

 

C'est grâce aux donations du baron de Rothschild que l'Institut Henri Poincaré fut crée. Louis de Broglie y enseignera trente quatre ans succédant en 1932 à Léon Brillouim à la chaire de physique théorique.

 

Ce genre d'aides est rare en Afrique. Et Thomas Moore a écrit à ce propos : " là où l'argent est la mesure de toutes les valeurs, il ne sera jamais possible de mener une politique de justice et de bonheur".

 

 

b)- L'aide à la publication : Pour que le monde entier profite d'une découverte, celle-ci doit être rendue publique: c'est grâce à Liouville qui publia en 1846 l'ensemble de l'œuvre de Evarist Galois que la théorie mathématique élaborée par ce dernier prit essor quatorze ans après sa mort.

 

Le monde entier admira l'œuvre de l'illustre savant anglais Isaac Newton, les " principia mathemathica", grâce au savant Edmund Halley, ami de Newton, qui finança personnellement sa publication en 1887 .

 

Le nord ne financera la publication de la production du sud que si elle répond à ses préoccupations, à sa conception de la recherche scientifique en Afrique.

 

c)- Les articles de presse : Si grand est le pouvoir de la presse. La presse, surtout au sud, a un devoir impérieux de faire connaître et les résultats de la recherche au sud et les chercheurs. Quelle place les moyens d'information du nord accorderont-ils à la production scientifique négro-africaine en particulier ,celle du sud en général, sinon celle qui leur permet de l'ostraciser, de l'étouffer et de l'enterrer? .

 

La production industrielle de la Pénicilline connut un essor grâce à la mobilisation de la presse: " aux Etats Unis, les journaux parlaient de plus en plus des malades arrachés à la mort par le remède miracle". Ils rendaient hommage à Fleming (5).

 

Dans le début des années soixante-dix, la vague de la tectonique de plaques déferle sur le monde des géologues. Cette théorie qui allait transformer notre manière de voir la terre, mais aussi de penser, de pratiquer la géologie, laissa pourtant les pontifes universitaires français de l'époque indifférents ou presque. Les plus hardis étaient farouchement contre, les plus habiles feignaient de l'ignorer ou la considèrent comme hors de leur sujet d'étude. En face de cette sclérose intellectuelle qui privera la majorité des étudiants français des connaissances fondamentales, le journal le monde et sa chronique " Sciences de la terre" tenue par yvonne Rebeyrol, constituera l'une des rares sources d'information en langue française sur la tectonique des plaques(6).

 

Cependant, la presse ne doit s'emparer que des résultats vérifiés et reconnus exacts. L'empressement brise la carrière des chercheurs. Ce fut le cas pour le doyen Dreyer: Dreyer mit au point un procédé chimique pour supprimer l'enveloppe des bacilles qui rendaient le vaccin antituberculeux sans effet. Il conçut à ce propos un vaccin appelé "diaphyte". Les tests sur les animaux donnèrent des résultats encourageants. La presse  s'empara de l'information et parla de "cure-miracle " … trop vite hélas. Le diaphyte se révéla inefficace chez les êtres humains . Et, fort justement Dreyer fut discrédité dans l'opinion(7).

d)- La création des écoles, fondations et instituts : La France a donné une impulsion considérable à la création scientifique en créant en 1513, sur décision du roi François 1er, le collège de France .Le collège de France est une institution admirable que l'étranger a envié et imité : ce sont les collèges ou centres de perfectionnement. Le savant nommé au Collège de France professe un cours libre, non renouvelé, qui exprime les progrès et les tendances modernes de la science. C'est la science en train de se faire dans son avenir, sa marche progressive qui est professée au collège de France . Depuis, d'autres institutions existent à coté du collège de France : le Centre National des Arts et métiers , l'Ecole de Hautes Etudes Pratiques, l'Ecole de Hautes Etudes en sciences sociales, le centre national de la recherche scientifique , etc. …

 

L'Allemagne de son côté, a créé :

1)- la société Max-Planck en 1911 à l'initiative de l'empereur Guillaume II pour l'encouragement des sciences. La société est composée d'instituts de recherche indépendants, qui ne devaient servir que la recherche . Elle fut subventionnée en grande partie par des initiatives privées et par des dons de l'Etat.

 

2)- la foundation Alexander-Von-Humbold qui a pour but de donner aux jeunes chercheurs étrangers hautement qualifiés la possibilité d'approfondir leurs recherches en Allemagne ou de travailler sur un sujet qui ne peut être traité qu'en Allemagne .

 

Aux Etat unis, c'est la Institute for Advanced Studies de Princeton et d'autres instituts du même genre qui remplissent les fonctions et missions comme celles du Collège de France et de la société Max-Planck.

 

En Afrique, rien de semblable ! clientélisme et favoritisme politique oblige.

 

La création de ces écoles, instituts et autres devraient permettre à nombre de nos scientifiques qui franchissent très difficilement les murailles trop bien protégées des milieux universitaires de l'occident de se valoriser. Le fait est devenu alarmant et préoccupant à en croire Pius Ngandu Nkashama ;

 

" des milliers d'universitaires africains, alors même qu'ils avaient atteint les objectifs assignés à tout le cycle d'instruction scolaire et souvent dans les conditions optimales, n'ont jamais pu se faire accepter parmi les cercles de leurs partenaires (d'Occident).(8)

 

e)- La création des chaires : Pour lutter contre l'indolence intellectuelle des " pontifes universitaires" qui nous prive peu à peu des nouveautés spirituelles, l'enseignement des découvertes est un grand secours. Car nous dit Bachelard: " il n’ y a de science que par une école permanente" et qu'en plus le savant devenu professeur "remplace les découvertes par des leçons " (9).

 

L'un des moyens pour faire connaître les créations scientifiques africaines en particulier ou du sud en général, c'est de les enseigner dans les établissements scolaires et universitaires, voire de les imposer dans les programmes d'enseignement , aussi qu'il en a été pour la littérature. Et l'acte d'inscription aux programmes est éminemment politique qu'il vaut également une forme de reconnaissance explicite (10).

 

 

C'est ainsi que :

 

- les idées de Jean Baptiste SAY prirent force quand on le nomma professeur au Centre national des arts et métiers en 1819, puis au Collège de France en 1830 ;

 

- la création d'un cours régulier de sociologie à la faculté de lettres de bordeaux en faveur d'Emile Durkheim permit à celui-ci d'aborder un certain nombre de problèmes particuliers et sortir des questions trop générales;

 

- Edouard Burnett Tylor, autodidacte, fondateur de l'anthropologie culturelle a occupé grâce à ses travaux, la première chaire d'anthropologie d'Oxford University en 1896. Il put se vanter de n'avoir jamais passé un seul examen de sa vie;

- lorsqu'on réalisa l'importance de la doctrine contenue dans sa thèse de doctorat: "les données immédiates de la conscience" (soutenue en 1889), qui niait le scientisme et pourfendait le rationalisme de l'époque, Henri Bergson (1859-1941) reçut (…) une chaire au collège de France;

 

- la bonne volonté jusque la sourde de l'Université Française face aux travaux de Pierre Curie sera ébranlée par le Nobel. Une chaire sera spécialement créée pour lui à la Sorbonne.

 

La création de ces chaires répond à une mission fondamentale de l'université , comme le disent si bien Newman et Gorges Gusdorf : " l'université fait profession d'enseigner tout ce qui doit être enseigné dans quelque département que ce soit de la connaissance (10). Il ne s'agit pas seulemnt d'enseigner au grand nombre des étudiants la science dejà faite, quelque soit le domaine , mais de contribuer à la science qui se fait, et d'initier les meilleurs d'entre les jeunes à la poursuite de cette verité en devenir, qui justifie le mouvement perpétuel de la connaissance humaine "(12). La formation universitaire est intimement liée au progrès des savoirs et aussi à la découverte de nouveaux champs pour le savoir"  (13).

 

Bien que rares sont les étudiants  qui demandent des cours faisant la part belle aux idées les plus récentes et les plus modernes (14), l'université est la dépositaire et la garante de l'unité du savoir. Mieux encore, à l'université, le professeur donne un enseignement personnel, fruit de réflexion , de patience, de loisir (15). Pour ces raisons Henri Rosovsky, ancien doyen de la Faculté des Arts et de Sciences de Harvard University, pense que toute université doit pouvoir faire place à ce type de gens ( les créateurs scientifiques) … la puissance de leurs idées et la valeur de leurs recherches , communiquées par écrit prenant le pas sur tous les aspects ( les diplômes surtout !)(16). Longtemps dejà Jean Baptiste Biot faisait la même apologie : " jugeons les hommes par leurs œuvres et non d'après la destination plus ou moins étendue ou restreinte qu'ils se sont donnée" (17). Ainsi Nicolas Christofillos avait été accueilli à l'université de Californie après que sa théorie de piégeage de particules chargées le long des lignes de force magnétique prédite en1957 eut été vérifiée par les professionnels.

 

Si chaque étudiant est bien pénétré, en finissant ses études, de ce que la science possède actuellement et de la tendance qu'elle doit suivre, il remplira son rôle envers la science parce qu'il fera tourner à son profit tout ce qu'il verra (18) . Soit que les étudiants ont tout à gagner en étudiant la science déjà faite et celle qui se fait ne fut ce que pour les valeurs esthétiques et intellectuelles qu'elle véhicule (19).

 

f)-  la cooptation des "ainés" ou des pairs

 

S'il avait fallu attendre l'année 1888 pour que la pensée scientifique de Darwin fasse son entrée officielle en France , grâce à la création cette année là à la sorbonne d'une chaire d'évolution des êtres organisés; la doctrine Darwienne fit son entrée officielle en Italie dès 1864 par les conférences des professeurs Filippo de Filippi (1814-1867), professeur de zoologie de l'université de Turin et Giovanni Canestrini (1835-1900) professeur de Zoologie à Padoue(20).

 

La théorie de la relativité d'Albert Einstein fut introduite en France par Paul  Langevin à travers ses cours au collège de France. En 1922, Paul Langevin invita A. Einstein, nouveau laureat du prix nobel, à venir y faire une conférence (21).

 

L'invitation des chercheurs à donner des conférences à l'université par des titulaires des chaires  est un des  moyens de stimuler la création scientifique : " l'enseignement du niveau universitaire est difficile à assurer sans les idées nouvelles' (H. ROSOVSKY) (22).

 

Cependant, certains professeurs refusent de faire avancer la connaissance en se cachant derrière des critères fallacieux. Charles Merieux n'a pas manqué de le signaler en écvrivant : " Je dispose d'une compétence que l'on rejette au nom des  principes qui restent théoriques" (23).

 

g)- L'ascendant de l'Etat : Face à l'indolence des scientifiques officiels ou des pontifes universitaires à donner force et vie à une science nouvelle, à une découverte nouvelle , l'autorité de l'Etat, fondée sur l'estime qu'apporte la nouvelle théorie à la nation, s'impose. Ibn Hazm n'ignorait pas que les écoles juridiques qui parvinrent à acquérir force de loi dans une société ne s'étaient diffusées que grâce à l'autorité de l'Etat. " Deux écoles , disaient-ils, se répandirent sous l'influence du pouvoir, l'école de Malik en occident, et celle d'Abû  Hanifâ en Orient "(24).

 

L'influence de Svoboda sur la virologie fut affectée par le renversement violent du gouvernement DubCek en 1968. Il continua cependant à jouer un rôle dans un petit laboratoire. Hale notait dejà :"Pour accomplir des grandes choses, les académies devaient s'assurer la coopération active des dirigeants de l'Etat" . La science, et surtout la création scientifique c'est le prestige, la suprématie d'un peuple, d'une nation, aussi l'Etat ne peut être en reste, principalement face à la volonté sourde des universités et centres de rechecrhe scientifique à l'endroit des découvertes scientifiques des citoyens de la République.

 

Tous ces moyens qui sont mis en œuvre en Occident et en Amérique du Nord pour l'encouragement de la création scientifique sont absents en Afrique; que " le manque de moyens, la discrimination politique, l'absence d'une atmosphère propice au travail scientifique sont les pourvoyeurs d'une immense fuite de cerveaux" de l'Afrique. Et Babacar NDIAYE, ancien directeur de la Banque Africaine de Développement cautionne indirectement cette fuite de cerveaux, lorsqu'il écrit : " le résultat du travail de l'Afrique a besoin d'être montré et d'être mis en valeur. Moins là où se fait l'effort de production. Mais là où cet effort peut etre mieux apprecié, mieux valoir, se mieux "vendre"(25).

 

Les Gouvernements et peuples d'Afrique ne comprennent pas que la recherche est un investissement que la société consent pour sa culture, son bien être et son independance. Miser sur la science et la recherche est un acte de foi en l'avenir. Parvenu souvent au pouvoir de facon peu orthodoxe, nombreux sont les gouvernements d'afrique qui n'ont ni cette foi ni cette vision d'avenir. A leurs yeux, la science peut attendre (26). Quant aux peuples d'Afrique, ils préfèrent "louer les hommes  occupés à faire croire que nous étions heureux que les hommes occupés à faire que nous le fussions en effet" . "Nous exigeons qu'on s'occupe utilement de nous et nous méprisons les hommes utiles" (Diderot) (27) .

 

Il est vrai que le personnel politique s'entoure de quelques scientifiques bureaucratisés incapables de promouvoir réellement la pensée, la culture et les applications scientifiques. Ce personnel scientifique momifié par le clanisme, le nepotisme, le culte du chef qui tiennent lieu du crédo au personnel politique africain ne saurait porter ombrage aux politiciens. La science est alors considérée comme un ornement, et non comme une nécessité . Or, les problèmes qui se posent en Afrique, quelles que soient les solutions politiques, ne sauraient être résolus sans le concours de la science (28).

 

Bibliographie :

1.      Davis (Ph.J.), et Hersh (R.), op. cit. p. 63

2.      Sénèque  cité par Charon (J.E.), op. cit. ibid

3.      Macfarlane (G), OP. cit. p. 75

4.      Macfarlane (G), op. cit. p. 826

5.      Macfarlane (G), op. cit. p. 226

6.      Rebeyrol (Y), op. cit.  ibid

7.      Macfarlanne  (G), op. cit. p. 191

8.      Ngandu Kashama (Pius), Rupture et Ecriture de violence l’Harmattan, Paris 1997,         pp 240-241

9.      Bachelard (G) (a) la formation de l’esprit scientifique J.- Vrin, Paris, 1986, pp 247, 252

10.  Ngandu Kashama (Pius), op.cit. p230

11.  Newman, cité par Gusdorf (G), op. cit. p. 90

12.  Sciences au sud n° 3 janvier Février 2000 p. 16

13.  Gusdorf (G), op. Cit. p. 81

14.  Rosovsky (H), op. cit. p. 95

15.  Gusdorf (G), op. cit. p.  83 

16.  Rosovsky (H), op. cit. p.  233

17.  Brot (J.B.),  CIT2 PAR Valley radot (R) , op. cit. ibid

18.  Bernard (Cl.), op. cit. p. 185

19.  Rosovsky (H), op. cit. p. 136

20.  Collectif, de Darwin au Darwinisme, Vrin, Paris, 1983, p. &_

21.   Loriot (H), op. cit. p. 21

22.   Rosovsky (H), op. cit. P. 98

23.  Mérieux (Ch), op. cit. p.

24.  Mohammed Abel, op. cit. p. 119 – 120

25.  Ndiaye (Babacar), Foi de Banquier, CEDA, Abidjan, 1995, p. 160

26.  a . n.n., science et tiers monde : la désillusion, p. 17 – 30

27.  Diderot cité par vergez (A) et Huismann (‘D), op. cit. p. 11

28.  Idem 26

 

 

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